top of page

15 décembre 1941, le dirigeant communiste Gabriel Péri est fusillé par les nazis

A l’occasion de l’anniversaire de la mort de Gabriel Péri, nous rendons hommage à l’immense militant et dirigeant, de la Jeunesse Communiste, puis du Parti Communiste Français. Fusillé le 15 décembre 1941 par les nazis et les collaborateurs fascistes français, Gabriel Péri figure parmi les 75 000 martyrs de la Résistance communiste et antifasciste.


Quelques mois avant sa mort, Gabriel Péri, membre de la direction du PCF, intellectuel de renom, journaliste et responsable de l’Humanité légale puis clandestine, avait idéologiquement écrasé dans son ouvrage « non le nazisme n’est pas le socialisme » les tentatives de mystification opérées par les fascistes français pour justifier l’occupation allemande, la collaboration, et la « révolution nationale » du maréchal Pétain.


Par ailleurs, et alors que le Parti Communiste remettait en marche sa presse clandestine et son organisation militante, et militaire, temporairement démembrée par la répression et son interdiction par le gouvernement de la 3e République depuis septembre 1939, Gabriel Péri demeurait lucide et optimiste sur l’issue de la guerre : « Il n’est pas de carcan de fer si bien ajusté qu’il ne présente des fissures. Il n’est pas de rapports de force définitif ».

Né le 9 février 1902 à Toulon (Var), mort le 15 décembre 1941 à Suresnes (Seine), fusillé comme otage par les Allemands au Mont-Valérien ; journaliste ; secrétaire national des Jeunesses communistes en 1922 ; membre du Comité central du Parti communiste de 1924 à 1929, suppléant de 1932 à 1937 puis titulaire ; chef des services de politique étrangère de l’Humanité ; député de Seine-et-Oise (1932-1940).


Né dans une famille d’origine corse, aîné de deux enfants (dont une fille), Gabriel Peri (nous orthographierons ensuite Péri comme on l’écrivait habituellement et comme il l’écrivait lui-même) vint jeune à Marseille où son père occupait des fonctions assez importantes à la Chambre de commerce. « Il devint directeur des services techniques des docks de Marseille. Ma famille vivait dans une modeste aisance, qu’entretenait comme la plupart des familles de la petite bourgeoisie, une pratique stricte de l’épargne », écrit Péri dans son autobiographie publiée sous le titre : Les lendemains qui chantent (les citations autobiographiques renvoient à l’édition de 1947 de cette brochure). Ses parents habitèrent plus tard Toulon où son père, représentant de commerce en huile milita au Parti communiste.


Le jeune Gabriel entra en classe de huitième en 1911, à l’annexe Périer du lycée de Marseille ; il y demeura jusqu’à la troisième A et termina ses études au grand lycée (l’actuel lycée Thiers) dans la classe de philosophie en 1919-1920. Les palmarès conservés à la bibliothèque du lycée Thiers témoignent d’une brillante scolarité fondée sur de solides études classiques à dominante littéraire, avec de nombreux prix et accessits. Ceux qui l’ont connu à l’époque l’ont dépeint comme un jeune homme enjoué, réfléchi et travailleur, fin et cultivé, naturellement et foncièrement courtois, sincère et passionné dans ses convictions. Particulièrement doué pour le français, le latin, le grec, la récitation et l’histoire, il avait l’intention de préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure mais des revers familiaux en décidèrent autrement.


Au début de la Première Guerre mondiale, Péri avait douze ans et demi. Il décida en 1915 de fonder avec ses camarades un journal de lycée vendu au profit des soldats blessés et intitulé le Diable bleu. Son premier article fut consacré à Jean Jaurès.


Très tôt, Gabriel Péri s’engagea politiquement : plus que l’environnement familial, c’est l’influence de la guerre et de la Révolution russe qui furent déterminantes. En effet, son père votait à gauche, mais, pour l’élection présidentielle de 1913 ses préférences avaient été à Raymond Poincaré et non à Jules Pams. Quant à sa mère, Yvonne, très pieuse, elle avait veillé avec un souci jaloux à son éducation religieuse. « Par conséquence, rien comme éducation familiale ne me prédisposait à la révolution... Je cherchais une explication à la guerre, considérée non point comme source de souffrances, mais comme un bouleversement dont je voulais découvrir le sens, l’origine, l’interprétation, la source, dont la guerre avait été le prétexte, s’étendant aux autres phénomènes de l’histoire humaine ».


C’est pendant la guerre, et en étudiant la philosophie, que Péri chercha, au-delà du manuel classique, des explications dans la lecture du Manifeste communiste de Marx et de L’Anti-Dühring d’Engels. Le socialisme lui apparut « alors non plus comme un groupement semblable à d’autres, mais comme le formidable rassemblement d’hommes conviés à rénover l’humanité... La lutte pour le socialisme... était l’essentiel ; elle devait être ma vie… ». Péri évoqua également ce qu’il devait à des personnalités comme Marcel Cachin et Paul Vaillant-Couturier ; l’on ne saurait oublier l’influence de Flavien Veyren, ancien prêtre, venu de la Jeune République au socialisme le plus avancé, auprès des jeunes socialistes de Marseille qu’il entraîna, après le congrès de Tours, au Parti communiste dont il fut le premier secrétaire fédéral dans les Bouches-du-Rhône.


D’autres raisons poussèrent Gabriel Péri vers le socialisme : le dégoût à l’égard des profiteurs de guerre et les tensions au sein de son lycée avec les camelots du Roy.


Dès 1917, à quinze ans, Péri adhéra aux Jeunesses socialistes. En juin et juillet 1918, nous trouvons les premières manifestations de son activité : il fut secrétaire adjoint des Jeunesses socialistes et participa à la commémoration de la mort de Jaurès le 31 juillet. La Vague du 11 juillet publia une lettre de Péri qui se proposait d’animer à Marseille un groupe des amis de ce journal. En 1919, il fut trésorier adjoint des JS. À la même époque, son père fut candidat aux élections municipales à Marseille, en novembre 1919, sur une liste d’Union des gauches de tendance radicale.


Les années 1919-1920 furent décisives tant sur le plan personnel que sur le plan politique : sa situation familiale l’obligea à abandonner ses études après le baccalauréat : il devint secrétaire du conseil d’administration d’une entreprise de navigation et de construction marine. Il écrivit plusieurs articles dans une revue d’étudiants de gauche d’Aix-en-Provence et dans un hebdomadaire publié à Marseille ; il collabora à la revue Clarté, fondée par Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier, y publia une étude sur le matérialisme et l’idéalisme dans la conception socialiste de Jaurès et un article sur Gracchus Babeuf et le problème social pendant la Révolution française. Sa réponse à une enquête de la Vie ouvrière (9 janvier 1920) sur les dix meilleurs livres nous fait découvrir un Péri lecteur de Marx, Engels, Gabriel Deville, Charles Rappoport, Lénine, Léon Trotsky, Barbusse, Romain Rolland mais aussi Ibsen, Renan, Anatole France, Zola et Baudelaire.


Un dirigeant des Jeunesses communistes


Devant l’échec des grèves de 1920, les « hésitations et la pusillanimité du mouvement socialiste », Péri et les Jeunesses socialistes, ainsi que la majorité des militants de base des Bouches-du-Rhône, rejoignirent le courant favorable à la IIIe Internationale. Ce courant l’emporta à une très forte majorité au congrès fédéral SFIO de Salon, préparatoire au congrès de Tours. Avant même celui-ci, les Jeunesses socialistes de Marseille passèrent en bloc au nouveau Parti communiste. Gabriel Péri devint rapidement le secrétaire régional des Jeunesses communistes. Il adressa à l’Avant-Garde des articles qui furent parfois reproduits dans l’Humanité.


Gabriel Péri ne se contenta pas d’écrire, il fit une propagande antimilitariste directe pour protester « contre la politique de rétorsion à l’égard de l’Allemagne, pour la fraternisation des travailleurs de France et d’Allemagne ». C’est ainsi qu’il fut impliqué dans l’affaire du « complot communiste ». La découverte à Sceaux d’un paquet contenant des faux passeports entraîna l’arrestation d’Abramovitch et de nombreux militants à Paris et en province. Péri fut interpellé le 6 février 1921 porteur de tracts incitant les nouvelles recrues à faire dans les casernes de la propagande communiste. Il fut incarcéré à la prison Chave pour quarante jours ; à Marseille, il fut le seul à avoir été condamné le 17 mars à la prison et à une amende. Le procès mobilisa la presse régionale et nationale (dessin de H. P. Gassier dans l’Humanité) et valut aux accusés la sympathie de l’opinion publique, des socialistes SFIO aux modérés. Les 15 et 16 mai 1921, il était présent salle de l’Égalitaire à Paris pour le 1er congrès de la Jeunesse communiste. C’est lui qui défendit au nom de la majorité du Comité national, la position de principe de l’Internationale communiste des jeunes sur les rapports entre la Jeunesse et le Parti communiste : « Les Jeunesses demandaient leur autonomie, parce qu’elles étaient organiquement et politiquement avec un parti seulement socialiste de « titre », ajoutant que, la situation s’est modifiée avec désormais la présence d’un parti devenu communiste. » (Jeunes comme JC, p. 79).


Au cours de l’automne 1921, Péri milita activement : en octobre, il fut avec Veyren à Aix ; en décembre, délégué suppléant par le congrès fédéral des Bouches-du-Rhône pour assister, au nom des Jeunesses communistes, au premier congrès national du Parti communiste à Marseille (25-30 décembre 1921).


Remarqué pour ses qualités militantes, Gabriel Péri devint à vingt ans un dirigeant national. Secrétaire administratif de la Fédération nationale des JC (Laporte en étant le secrétaire politique), il fut membre de la rédaction de leur journal l’Avant-Garde et participa au numéro spécial intitulé le Conscrit (Marcel Cachin, Vaillant-Couturier et lui-même furent condamnés pour leur article mais la condamnation ne devint exécutoire qu’en 1924, après le vote de la loi d’amnistie). Au début d’octobre 1922, il défendit la thèse Souvarine-Frossard favorable au front unique lors du congrès fédéral tenu à Marseille. Bien que le texte ait été adopté, la Fédération communiste connut en 1923 une crise grave : deux fédérations s’opposèrent : « l’autonome » qui participa à la formation du Parti socialiste-communiste, et « l’unitaire » fidèle au PC et que réorganisèrent Gabriel Péri et Aimé Carlier à partir de septembre 1923.


Sans être membre du Comité directeur du Parti communiste élu au congrès de Paris (octobre 1922), il siégea avec Maurice Laporte et Raymond David à la première réunion de cette instance le 20 octobre 1922, comme représentant des JC. Le 4 juin 1923, Péri fut envoyé par le Comité directeur comme délégué permanent à la propagande dans le département des Bouches-du-Rhône. Il annonça la parution d’un nouveau journal, l’Humanité du Midi à partir du 1er décembre 1923.


Gabriel Péri avait été délégué, fin 1922, à Moscou au congrès international de la Jeunesse communiste. Il demeura un mois à Moscou, fit deux conférences, l’une au cercle des écrivains révolutionnaires sur « La littérature d’avant-garde en France pendant et depuis la guerre », l’autre au club des marins et officiers de Cronstadt sur « La Commune de Paris ». Il écrivit des articles dans la presse soviétique et fut reçu par Lénine. Ce fut à notre connaissance son seul voyage en URSS.


À son retour, la Correspondance politique internationale l’envoya faire une enquête sur la situation politique à Rome. Ce voyage lui permit de constater l’ampleur de la répression fasciste et de s’entretenir avec les membres de l’entourage de Mussolini.


Lorsque Péri revint en France, le Parti communiste était engagé dans la dénonciation de l’occupation de la Ruhr par l’armée française et plusieurs dirigeants, dont Marcel Cachin, avaient été arrêtés. En janvier 1923, Péri fut chargé de la rédaction d’une brochure qui constitua sa première analyse des relations internationales. Il en tira les éléments d’un manifeste « A la jeunesse française, aux jeunes ouvriers, aux jeunes soldats ». Le jeune militant se rendit personnellement dans la Ruhr à la mi-mars. La police l’appréhenda à Arras le 21 mars alors qu’il se rendait en Belgique. Son action lui valut une inculpation pour « complot contre la sûreté de l’État » en mars 1923 et un emprisonnement à la prison de la Santé durant laquelle il fit pendant onze jours la grève de la faim avant d’être hospitalisé à l’hôpital Cochin où il fut nourri de force. Lorsqu’on voulut le libérer le 25 mai, il déclara refuser de quitter la prison de la Santé sans le député allemand Hollein.. On dut l’expulser par la force.


Le dirigeant communiste

Après sa libération, il se rendit à Nîmes pour collaborer à l’édition régionale de l’Humanité. Le IIIe congrès du Parti communiste réuni à Lyon (20-23 janvier 1924) le nomma membre titulaire du Comité directeur et délégué régional dans le Midi (Gard, Var et Bouches-du-Rhône).

Installé à Paris, Gabriel Péri devint, en novembre 1924, chef du service de politique étrangère à l’Humanité, fonction qu’il exerça jusqu’au 25 août 1939. Péri était déjà un analyste passionné des relations internationales. Dans sa cellule de la Santé il avait consacré son temps libre à une étude systématique de l’histoire diplomatique. Lui qui aimait l’ambiance de la presse « le monde de l’imprimerie, l’univers des “caractères” », comme les voyages et les rencontres avec des personnalités étrangères, allait vivre dans cette fonction des « années si pleines et si fertiles ». Il écrira : « J’ai tenu ma profession comme une manière de religion, dont la rédaction de mon article quotidien était chaque nuit le sacerdoce. »


Il s’était très vite imposé comme un très bon spécialiste des questions internationales et un habile politique qui réussissait à ne pas mettre l’Humanité en position d’être critiquée par l’Internationale communiste. Ses qualités apparurent particulièrement lors des négociations européennes sur la sécurité à Locarno (octobre 1925), dans ses articles sur la grève des mineurs anglais (1926) et ses commentaires sur les relations franco-allemandes. Une lettre à Pierre Semard, datée du 5 févier 1927, nous apprend que ses articles « en même temps que ceux de Cachin et de Vaillant, soulèvent des critiques (...) Il me revient qu’on leur reproche de manquer de conclusion ». Péri répond en faisant un bilan de son travail au quotidien communiste : « Je ne prétends pas avoir parfaitement réussi. Par contre j’accepte bien volontiers que l’on compare la rubrique étrangère en novembre 1924 et en février 1927. J’accepte que l’on compare les commentaires faits en juillet-août 1924 de la conférence de Londres et désavoués d’ailleurs par l’Internationale communiste, et les commentaires que nous avons donnés depuis des grands événements internationaux. » Mais, précisait-il, « Je ne suis évidemment pas dupe du caractère des critiques qui sont aujourd’hui formulées contre Cachin, Vaillant et moi. Je sais — et les plus aveugles devraient s’en apercevoir — qu’elles font partie d’une offensive d’ensemble contre la Direction présente du Parti. » (Document BMP, communiqué par Serge Wolikow).


Cette même année 1927, Péri se maria à Paris avec Mathilde Taurinya, belle-sœur d’André Marty (elle était la sœur cadette de Pauline), une ouvrière, née le 7 juin 1902 à Canet (Pyrénées-Orientales). Mais leur vie commune fut vite perturbée : le 27 mai 1929, Péri fut arrêté et à nouveau emprisonné à la Santé pendant un an, pour ses articles dans l’Humanité.


Péri gardait des liens très forts avec sa région d’origine. Après un échec contre Renaudel dans la deuxième circonscription de Toulon (Var) en avril 1928 (1 757 voix sur 16 569 inscrits), il fut battu, en octobre 1930, par le socialiste Ambrosini dans la 2e circonscription de Marseille, pourtant la plus ouvrière (élection partielle après la mort de Bernard Cadenat, quartier de la Belle-de-Mai). De même au printemps suivant, réalisa-t-il un faible score lors de l’élection municipale triangulaire qui l’opposa, au modéré Eugène Pierre appuyé par Sabiani et au socialiste Rémy Roux. Il n’obtint que 6 676 voix sur plus de 96 000 votants. Souhaitant cependant poursuivre son action à Marseille, il accepta avec beaucoup de réticences sa désignation dans la première circonscription de Versailles (Seine-et-Oise) pour les élections législatives de mai 1932, mais le succès (il obtint au premier tour 7 930 voix sur 31 081 inscrits et fut élu au second avec 12 222 voix) le fixa définitivement à Argenteuil. Son espoir d’une investiture pour les élections municipales de 1935 dans cette ville fut déçu mais il fut réélu député au second tour des élections législatives d’avril 1936 (15 033 puis 18 259 voix sur 34 608 inscrits).


Journaliste à l’Humanité


Brillant, Gabriel Péri suivit pendant quinze ans les grandes conférences internationales, visita de nombreux pays et noua des relations avec des milieux diplomatiques, politiques et intellectuels diversifiés. Parmi ses enquêtes les plus marquantes citons celles qu’il fit dans les Balkans en 1928, en Espagne en 1931 et 1934, en Indochine en 1934 pour connaître les conditions de la répression qui avait suivie les troubles du Tonkin, en Afrique du Nord en 1937 pour dénoncer les menées italo-allemandes et en Tchécoslovaquie en 1938. Péri signait des articles dans les Cahiers du bolchevisme, la Correspondance internationale, Clarté et la revue Chine publiée par Étienne Constant, pseudonyme de Sophia Jancu, son amie depuis 1933. Il avait été en 1928-1929 correspondant à Paris de la Pravda et avait collaboré à la revue politique et littéraire américaine New Masses.


Gabriel Péri occupa une position secondaire dans l’appareil du parti. Écarté du comité central entre 1929 et 1932, il fut suppléant jusqu’en 1937, année où il fut réélu titulaire au congrès d’Arles. Il n’avait pas traversé sans difficulté la période 1928-1932 marquée par la politique « classe contre classe » et « l’accentuation du caractère ouvrier » de la presse. Ce fut surtout l’évolution de l’Humanité au début de l’année 1928 qui provoqua sa colère : il soutint l’action de Vaillant-Couturier mais s’étonna lors d’une réunion de la rédaction, le 3 avril, que ce dernier ait accepté le renvoi de certains rédacteurs. On imagine ses sentiments pendant l’été 1929 à la nomination de Florimond Bonte à la direction de l’Humanité et lors du coup de force du 2 septembre 1929 marqué par l’investissement des locaux par une vingtaine de militants musclés et l’expulsion des rédacteurs indésirables. La période transitoire de 1933-1934 fut tout aussi difficile. Pendant l’année 1934 et les six premiers mois de 1935, ses rapports avec André Marty responsable du quotidien furent souvent conflictuels. Celui-ci tempêtait contre les « sabotages systématiques et continuels de Darnar et de Péri » (BMP, M 10C, lettre du 6 avril 1935) et ajoutait : « Péri fait ce qu’il lui plaît. Il s’absente quand il veut ; pour le temps qu’il veut et l’on ne sait jamais où il est. » (note du 1er avril 1935). Mais ce sont en fait les initiatives politiques de Péri qui irritaient le plus André Marty. Ainsi lorsqu’après la signature du traité d’assistance mutuelle franco-soviétique le 2 mai 1935, Péri aborda directement à l’assemblée quotidienne des rédacteurs le sujet sans passer au préalable par une question écrite au bureau politique.


Le chef de service de la rubrique politique internationale de l’Humanité accompagna avec ferveur le nouveau cours, particulièrement sur la question nationale. Après une participation remarquée à la commission de l’Enseignement (il avait été chargé d’une étude sur la réforme de l’enseignement secondaire), son accession à la commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés en 1934 lui offrit une tribune pour développer avec force et conviction une politique qui donnait à la France une « mission dans l’organisation des peuples pacifiques ». Ses interventions contribuèrent à la crise du ministère Laval qui fin janvier 1936 laissa place à un cabinet Sarrault. Le groupe communiste chargea Péri d’intervenir pour indiquer que le gouvernement pourrait bénéficier « de notre abstention favorable à condition qu’il inaugurât une nouvelle politique extérieure ». Ainsi lorsque celui-ci présenta le traité d’assistance mutuelle franco-soviétique à la ratification de la Chambre, Péri appela à un vote positif. Thorez prêtait intérêt aux propos et aux articles de Péri au point de favoriser son élection au poste de vice-président de la commission des Affaires étrangères du Palais-Bourbon après la victoire du Front populaire.


Sa grande culture en politique internationale et ses brûlantes convictions antifascistes assurèrent à Péri un prestige considérable aussi bien au sein du Parti communiste qu’à l’extérieur. Il mena un combat incessant sur les thèmes de la paix et de la sécurité collective. Il fut un défenseur ardent de l’amitié franco-soviétique et, comme journaliste et député fut l’accusateur du fascisme italien lors de l’agression contre l’Éthiopie. Il prit ensuite la défense de la République espagnole en dénonçant avec force la politique de « non-intervention ».


Après la signature des accords de Munich, Péri s’affirma dans l’Humanité et à la tribune de la Chambre des députés comme le porte-parole de la résistance au « diktat » de Hitler. Les militants communistes, les militants antifascistes ainsi que les diplomates du quai d’Orsay lisaient avec attention ses articles publiés quotidiennement en troisième page du journal communiste. Péri s’y exprimait avec la force d’un homme qui pensait pouvoir changer le cours des choses. Il tint à rappeler dans les documents autobiographiques écrits en prison l’esprit de son action : « C’est une criante injustice et un contresens historique de prétendre que mon opposition au national-socialisme m’a incité à préconiser une politique de force à l’égard de l’Allemagne. J’ai dit et répété au Parlement et hors du Parlement (notamment en décembre 1938, lors de la venue à Paris de M. von Ribbentrop) que je souhaitais la paix avec tous les pays, quel que fût leur régime : mais d’une part je désirais l’établissement de la paix dans l’égalité des droits ; d’autre part, je jugeais néfaste une coalition franco-allemande qui eût pris la forme d’une conjuration contre-révolutionnaire, antimarxiste, anticommuniste, c’est-à-dire antiouvrière ; enfin il me semblait dangereux en vertu du principe selon lequel Sedan suit toujours Sadowa, d’acheter la paix occidentale au prix d’une liberté d’action laissée pour des aventures à l’est de l’Europe. »


Si Péri dénonçait avec violence la politique de Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, il sut vanter les initiatives du président américain Roosevelt au début de l’année 1939 et encourager, à partir de fin mars 1939, les gouvernements anglais et français à organiser la sécurité collective avec l’URSS Dans ses mémoires, Bonnet écrit qu’au mois de juillet 1939, excédé par les attaques solidement étayées de l’Humanité, il avait montré à Péri son dossier de négociation avec l’URSS : celui-ci lut les instructions et les réponses et remercia sans autre commentaire (Dans la tourmente, op. cit., p. 129). Victime d’un accident de voiture le 9 juillet, Péri avait tenu à reprendre sa rubrique le 21 juillet pour dénoncer le « sabotage » des propositions de paix de Roosevelt. Quelques jours plus tard il participa à une délégation de parlementaires français à Londres et revint peu optimiste sur les chances de succès des négociations anglo-franco-soviétiques.


Péri pensa-t-il que les négociations commerciales entre Moscou et Berlin pourraient déboucher sur un accord plus large ? Péri était trop bien informé de la situation militaire en URSS(voir la confidence que lui fit André Marty pendant l’été 1937, t. 36, p. 16) pour savoir que celle-ci ne pouvait qu’éviter l’affrontement avec l’Allemagne.


La tourmente de la Seconde Guerre mondiale


Inquiet à la nouvelle du Pacte germano-soviétique qui le surprit pendant ses vacances dans les Alpes, Péri trouva des formules qui lui évitaient une approbation bruyante. Lors de sa dernière participation à la commission des Affaires étrangères le 25 août, il rappela les « lourdes responsabilités » des gouvernements français et anglais et estima « qu’une attitude sentimentale et passionnelle à l’égard du traité ne servirait de rien, que le mieux serait d’essayer de faire du traité un point de départ dans le sens de la pacification générale ». Il pensait que la situation internationale ne pouvait évoluer que dans le sens de l’isolement de l’Allemagne nazie. Il fallait donc travailler à la survie du Parti communiste et ne pas donner le sentiment de prendre ses distances. Les propos tenus le 2 septembre à Georges Cogniot illustrent sa volonté de ne pas se laisser enfermer dans la conjoncture immédiate : « Gabriel Péri considérait le dispositif international des forces, créé par le Pacte de non-agression, comme éminemment instable et provisoire, l’entrée de l’URSS et des États-Unis dans la guerre contre Hitler comme certaine à plus ou moins longue échéance, la défaite de Hitler comme inévitable. » (Cogniot, op. cit.)


Gabriel Péri partageait alors sa vie avec Sofia Jancu, une journaliste communiste et qui restera à ses côtés jusqu’à mai 1941, à l’exception de quelques mois pendant l’été 1940. Fin septembre, il demanda un engagement dans l’armée bien qu’il ait été réformé en 1922 en raison d’une grave atteinte pulmonaire. Déclaré apte, il attendait d’un jour à l’autre sa feuille de route lorsqu’ intervint l’affaire de la lettre du 1er octobre au président de la Chambre Édouard Herriot, qui l’obligea à échapper au mandat d’arrêt lancé par la justice contre les députés qui l’avaient cosignée. En fait Péri, absent de Paris, n’avait pas pris part à la rédaction de ce document qui marquait la rupture du soutien à l’effort de guerre du gouvernement, plus encore, il avait, sur le moment, manifesté sa colère. Le nouveau cours du PCF faisant sienne l’analyse de la « guerre impérialiste » heurtait le partisan d’une ligne de rassemblement antifasciste. Péri échappa aux arrestations du 5 octobre ; il fut donc jugé et condamné par contumace à cinq ans de prison en mars-avril 1940. Péri ne put échapper à la défiance qu’inspirait son autonomie intellectuelle. Dans une missive envoyée de Moscou le 20 janvier 1940, Marty écrivit avec sa brusquerie habituelle : « Il faut écarter Péri du poste confié/ rédaction des documents/ à cause de : tout son passé/journalistique etc./, son appui aux éléments trotskystes dans la région frontière des Pyrénées-Orientales/Catalogne française/ , ses relations personnelles. » (Roger Bourderon, Ce que disent les archives, Gabriel Péri clandestin, op. cit., p. 9). Duclos et Frachon ne semblent pas partager ses inquiétudes. Les deux seules allusions à Péri dans les archives du Parti communiste permettent de savoir qu’il aurait trouvé « à redire » sur l’attitude des députés communistes au Parlement (note de Duclos à Frachon, 17 janvier). Mais Frachon dans un courrier du 23 janvier ne signale pas de divergences : « G. P. je ne le vois pas. Nos relations sont épistolaires. Il craint de sortir. On lui dit qu’il est très recherché ce qui est vrai » (id., p. 11).


Péri travaillait beaucoup pour l’Humanité clandestine même si certains de ses papiers, trop longs, ne purent être utilisés. Il fut un des rares dirigeants communistes présents à Paris lors de l’entrée des Allemands. Vers le 10 juin, il assista avec Benoît Frachon, Jean Catelas et Georges Politzer à la réunion qui précéda le départ de Frachon et d’Arthur Dallidet pour le Sud-Ouest. À partir du 15 juin, il logea dans des « planques » fournies par le parti à Courbevoie puis à Clichy, sous le contrôle de Maurice Tréand qui l’informa des démarches en cours pour la republication légale de l’Humanité, démarches que Péri n’approuva pas, refusant de s’y associer (témoignage d’Étienne Constant). Au début de l’automne, il s’installa avec Étienne Constant dans un appartement du XIXe arr. pour se consacrer à une intense activité journalistique au travers de laquelle il tenta de faire passer, d’une manière personnelle, la ligne du moment. Un rapport du 10 novembre 1940 adressé au Komintern par un certain Simon (Tréand) confirmait les difficultés de la direction clandestine du parti avec Péri : “A toujours attitude politique chancelante. Grosse difficulté avec lui, il faut discuter chaque 15 jours avec lui. Coupez (sic) des masses il est un peu désemparé.”


À partir du 15 janvier 1941, le parti clandestin le logea place de la Porte-Champerret chez le militant communiste André Chaintron, frère de Jean Chaintron. C’est à cette époque qu’il entreprit la rédaction d’une brochure pour combattre la propagande collaborationniste : Non, le nazisme n’est pas le socialisme. Il s’en entretint avec Henri Gourdeaux en février, y travailla en mars et acheva la mise en forme fin avril comme l’indique la brochure imprimée en mars 1942. En avril, il s’enthousiasma lorsque la politique d’union contre le nazisme qu’il appelait de ses vœux commença à prendre à être prise en considération par le secrétariat avec la création du Front national. Il fut arrêté sur dénonciation, le 18 mai 1941, au domicile d’André Chaintron, un mois avant l’attaque allemande contre l’Union soviétique, ce tournant de la guerre qu’il avait pressenti et même souhaité.


Le 15 décembre 1941, Gabriel Péri fut fusillé par les Allemands avec d’autres otages, au Mont-Valérien.


https://maitron.fr/spip.php?article24207, notice PERI Gabriel, Joseph, Marie (écrit habituellement PÉRI Gabriel) par Antoine Olivesi (période marseillaise) et Claude Pennetier, version mise en ligne le 10 janvier 2009, dernière modification le 30 octobre 2021.


une journal 1_page-0001(1).jpg
abb.jpg
bottom of page